Plus l'orage approchait, plus l'inquiétude de Lena grandissait, elle se glissa tant bien que mal au travers des fourrés pour rejoindre l'abri sec et protecteur que lui offrait les branches d'un épicea. Là elle se coucha en rond sur la terre battue, le souffle court et enroula sa queue autour d'elle; puis elle ferma les yeux et resta là sans bouger écoutant le tonerre gronder, toujours plus proche.
Les deux derniers mois de sa vie avaient été éprouvants; la première année de vie d'un renard est toujours éprouvante, mais pourtant, malgré tout ce qui s'était passé, Lena faisait partie des chanceux. De ceux qui n'avaient pas été tués à leur naissance par des humains sans scrupules, de ceux qui n'avait pas laissé comme seul trace de leur passage sur cette terre, leurs entrailles incrustées dans le bitume, de ceux à qui la vie avait sourit .
Cependant, en ce moment précis elle pensait tout sauf que son existence fût une bénédiction.
Cela avait commencé a l'aube du printemps, Lena avait alors cinq mois, et la vie, notion naïve et évidente autrefois prenais une toute autre tournure se chargeant de la faire mûrir. Quelques semaines auparavant, sa mère avait changé de comportement, et au lieu de leur rapporter autant des proies délicieuses et variées ainsi qu'elle aurait du, elle grognait et se montrait agressive chaque fois qu'elle ou que son frère tentait de lui faire comprendre que le service restauration laissait à désirer. Pourtant tenaillée par la faim Lena se faisait chaque jour plus pressante, ne comprenant pas pourquoi subitement sa mère si douce,se montrait si réticente, ne la nourrissant plus et s'absentant fréquemment. C'est un beau jour en la voyant avec un mâle d'un épais pelage roux flamboyant occupé à tourner autour d'elle, qu'elle conclu que la raison de ce changement de comportement était tout bonnement qu'elle s'interessait plus à ce nouveau venu qu'à ses propres rejetons. Son frère lui aussi s'absentait de plus en plus longtemps de leur terrier natal niché entre les racines d'un grand chênes, et lorsqu'il revenait il portait sur lui l'étrange odeur qui troublait Lena tout autant qu'elle excitait ses sens.
Au bout d'une semaine, lassée des rebuffades de sa mère elle tenta finalement de trouver sa nourriture par elle même, ce qui n'était pas chose aisée. Elle essaya toute sortes de aliments : des insectes croustillants sous les dents, des vers juteux, des baies sucrées et même certaines plantes. Mais cela ne suffisait pas à la rassasier et même après des heures passés à glaner la moindre petite parcelle comestible de son environnement, son estomac criait toujours famine. Ses expéditions alimentaires la menait donc toujours plus loin du terrier, et lui prenait tellement de temps qu'à dire vrai elle ne se préoccupait plus guère de sa mère ou encore de son frère. Parfois elle s'absentait une journée entière, furetant à travers les champs, se reposant au gré de ses envies à l'ombre d'une haie, parmis les herbes fraîches. Mais chaque soir Lena rebroussait chemin et on pouvait l'apercevoir au détour d'un bois rentrer au bercail se balançant sur ses longues pattes noires.
Un matin elle quitta le terrier avant même le lever du soleil, et décida d'aller là où le destin la guiderait. Elle suivi ainsi plusieurs fois la piste odorante d'un lapin, tourna mille fois à travers les herbes hautes, sans jamais réussir à l'apercevoir. Elle fini par se coucher haletante contre le tronc d'un noyer.
C'est le chant d'une mésange qui, finalement, tira Lena et son estomac de leur torpeur, lorsqu'elle leva la tête le soleil était deja haut et elle n'avait encore rien mangé depuis la veille. Elle se leva et découvris ses canines en un long baillement tout en suivant du regard l'oiseau effrayé s'enfuir à tire d'aile. Le nez au vent la renarde entama un séance d'étirements qu'elle clos en bondissant parmis les herbes les oreilles en arrière : La chasse était ouverte !!!
En quelques minutes elle rejoignit une garenne située à l'orée d'une clairière où elle avait deja dévoré quelques lapins....des yeux. Elle se coula silencieusement entre les arbres, c'était son jour de chance, elle avisait du regard un imprudent amateur d'écorce de bouleau. La prédatrice s'avanca alors souplement sans même que la proie ne remarque sa présence, pas après pas, sans que la moindre feuille ne bruisse, le manège dura un long moment, Lena veillait a ne faire aucun bruit. C'est seulement à moins d'un mètre du lapin qu'emportée par la faim elle se ramassa et bondit .
On dit souvent que la mort est une chose terrible, mais la mort des uns fait la vie des autres, la nature est ainsi faite, cruelle et sans pitié.
Cette première victoire redonna du courage à la renarde et elle décida que désormais plus rien ne l'attachait à l'environnement désormais infertile qu'avait été son bocage natal. C'est ainsi que, forte de cette première chasse, et l'estomac bien rempli , elle continua pour la première fois son chemin sans un regard en arrière.
Plus les jours passaient plus Lena devenait habile, il n'était pas rare qu'elle capture plusieurs campagnols dans la même journée, elle continuait cependant à se nourrir de baies sucrées dont elle était friande et appréciais parfois l'aubaine gastronomique que lui apportait les déchets oubliés ici ou là par un promeneur.
Comme beaucoup de jeunes renards elle dormait là où bon lui semblait et ne possédait pas de litière fixe, les limites même de son territoire était d'ailleurs assez floues.
Elle passait toujours beaucoup de temps à musarder, et chaque jour elle parcourais de longues distances à travers champs. Lena était une renarde très peu farouche et aguérie, elle ne craignait pas les hommes et bien souvent elle s'approchait des habitations peut être dans l'espoir d'y trouver quelques chose à se mettre sous la dent, ou par simple curiosité. En tous cas c'est comme cela que ses premiers ennuis pointèrent le bout de leur nez....ou plutôt de leur truffe car c'est sous la forme d'un gros chien au pelage noir qu'ils se matérialisèrent.
Jackdaw était un cabot somme toutes assez placide, le programme de ses journées bien remplies était : de suivre son maître comme son ombre, d'obéir à ses ordres et d'aboyer pour signaler l'arrivée d'un étranger. On ne pouvait pas vraiment le qualifier de fin limier, et bien qu'il appartenait à la race des labradors il n'avait visiblement pas hérité ni de leur douceur ni de leur intelligence.
Remplir sa mission au jour le jour était pour lui un véritable plaisir, et il fallait le voir déambuler, le museau fièrement levé et le regard rivé sur le portail de la propriété prêt à se faire entendre si un malheureux quidam se risquait à s'approcher.
Ses problèmes à lui arrivèrent par une belle fin d'après midi, son maître était parti aux champs et lui avait auparavant longuement expliqué qu'il ne devait laisser entrer quiconque sous peine de sanction. Ce qui était sans nul doute le seul mot que Jackdaw avait compris du laïus de son humain, mais il suffisait à lui évoquer toute la peine et la souffrance qu'il aurait à endurer s'il échouait. Ainsi il s'était posté près de l'entrée, résigné a montrer les crocs à quiconque oserai se frotter à son "autorité". Lorsque la chatte de la maison, une belle écaille de tortue aux grands yeux verts, se glissa silencieusement entre les barreaux du portail, il du se retenir pour ne pas l'écorcher sur place, mais le souvenir cuisant de la "sanction" qu'il recu la dernière fois où il tenta de se mesurer à elle suffisait à l'en empêcher. Fanette était la chouchoute des alentours, tous les humains l'adoraient, non seulement ses maîtres mais aussi les voisins et tous ceux qui avaient le bonheur de croiser son chemin, et bien sur elle avait appris à en profiter pour faire passer le moindre de ses caprices. Elle s'approcha de Jackdaw et s'arrêta à quelques centimètres de sa tête, pendant un moment elle vrilla son regard d'émeraude dans celui du chien, puis, lassée de ce petit jeu, lui asséna un coup de patte qui le laissa pantois, quelque peu surpris de cette insolence. Fanette continua alors sa route nonchalament pour aller s'installer confortablement dans son panier d'osier, comme si donner une bonne correction à un chien de trente kilos en pleine possession de ses moyens, était pour une petite chatte comme elle, la chose la plus naturelle du monde.
Jackdaw préféra l'ignorer pour cette fois et redoubla d'attention, le regard fixé sur le portail, essayant désépérement d'oublier l'affront qu'il venait de subir. Son attention fut soudain retenue par une forme couleur feu qui se coulait discrètement juste de l'autre côté de la route ...
En pleine quête de nourriture et ne trouvant pas subsistance, Lena avait décidé d'aller faire un tour près des habitations humaines, d'où le vent charriait l'odeur des volailles sans défenses, attendant paisiblement leur heure dans l'ignorance la plus complète. Elle avait traversé le champs de maïs où elle avait pour habitude de fureter à la recherche de campagnols, afin d'atteindre la ferme sous le couverts des plants de céréales. Elle se coulait à présent dans le fossé attendant le bon moment pour traverser la route qui la mènerait au self service. Effectuer ce périple de jour était assez inconscient, si Lena tombait sur un humain elle risquait d'attirer l'attention, et d'attiser leur vigilance, les hommes se mettraient alors à poser des pièges, des collets et toutes sortes de dispositifs dans la campagne afin d'exterminer toute présence de renards. Mais la faim tiraillait la jeune renarde et elle n'était pas assez méfiante pour résister à l'avant gôut olfactif que lui offrait l'air ambiant. Un gros camion transportant du bétail fit frissoner Lena, tapie dans la pente de l'accotement, son passage souleva des nuages de poussière obstruant la vue de la renarde qui paniqua. Elle se plaqua au sol, espérant passer inapercue, le coeur battant à tout rompre. Lorsqu'elle rouvrit les yeux, la route était deserte et les dernières volutes de poussières retombaient, donnant à sa robe aussi peu d'éclat qu'à celle d'un animal naturalisé. C'était là le moment propice pour traverser, la grande étendue d'asphalte absorbait la chaleur en toute quiétude. Après un instant d'hésitation, le renarde s'élanca et courru ventre à terre se dissimuler dans les hautes herbes du fossé d'en face. Elle y reprit ses esprits et huma l'air dans l'espoir de détécter un quelconque danger, mais les stimulus olfactifs étaient trop nombreux pour qu'elle ne soit fixée, une chose était cependant claire, aucun humain ne rôdait dans les parages.
Forte de cette certitude elle se redressa lentement et examina la situation :
Un grand portail peint en blanc lui faisait face, encadré de deux hauts murs surmontés de tuiles dont certaines étaient cassées. La renarde aurait pu s'y hisser mais le risque d'attirer l'attention était bien trop grand, passer entre les barreaux du portail semblait être une meilleure solution. Cependant l'idée d'entrer en territoire inconnu à ras du sol ne l'enchantait pas. Mais le temps pressait elle devait trouver à manger avant que les hommes s'apercoivent de sa présence, ce qui en général ne tardait pas, c'est donc sans plus de cérémonie que Lena se faufila souplement au travers du portail blanc. Elle huma l'air et perçue l'odeur des poules et des oeufs qui n'attendaient qu'elle, elle allait jeter un coup d'oeil alentour, mais avant même qu'elle n'en ait le temps son odorat l'informa soudainement qu'elle venait de commettre une grave erreur.